vendredi 26 février 2016

N°9 - Chronique-Chaîne


Numéro Spécial !

Le numéro 9 de cette Chronique exceptionnellement utile vous apportera... gains, bénéfices et félicité, si vous le partagez avec au moins 9 autres personnes ! Vous recevrez ainsi, dans les 9 jours, une TRÈS bonne nouvelle par courrier ou par courriel.
Et… ça MARCHE !

Le témoignage de Manu, qui a reçu le numéro 9 de la Chronique en avant-première, est à ce titre édifiant :

—   J’avais perdu tout espoir, depuis que mon chat Félicité et moi étions séparés et que ma femme avait fugué au beau milieu de l’une de ces redoutables nuits où tous les humains sont gris. Sans trop y croire, je partageai alors le numéro 9 de la chronique avec une petite dizaine de connaissances et une semaine après, je recevais un courrier contenant une invitation à la journée VIP précédant le lancement public de l’édition 2016 du Salon Des Chats !

Une fois n’est pas coutume : le numéro 9 de cette chronique vous est donc résolument utile, et ce à double titre, car il est également l’occasion de  rappeler quelques adages qu’il est bon de ne pas oublier :

- Lorsqu’un naufragé de treize s’appelle Vendredi, l’heure n’est pas à mettre des habits neufs ;

- L'entrée d'un oiseau dans la maison annonce une mort. De l’oiseau, en général, que l’on escagasse par l’action d’un acharnement thérapeutique ignare.

- Treize convives bourrus autour d’une même table annoncent invariablement un temps de chien avant la fin de la journée ;

- Regarder deux inconnus croisant le fer sous une table porte malheur, a fortiori si le cri d’une oie réveille un convive assoupi sur ladite table (le réveil au cri de l’oie est toujours annonciateur de gros problèmes !) ;

- Croiser une échelle noire de nuit, sans éclairage, est le signe d’un très fort risque de collision.

Et pour le bonheur :

- Briser sept miroirs dans une même semaine annonce le retour prochain d’un bonheur qui s’était cassé la semaine précédente ;

- Le parapluie ouvert qui a été perdu dans une maison bordélique porte bonheur.

Le numéro suivant de CHRONIQUE INUTILE DU VENDREDI (La) vous causera d'un principe de précaution appliqué dans un rond-point.

vendredi 19 février 2016

N°8 - Une nuit au poste

Cette chronique est inutile, car elle ne procure ni gain, ni bénéfice. 

En cette époque de massification des consomm'acteurs augmentés, aborder un être matérialisé en proximité, dans le train ou ailleurs, était devenu comble de l'incivisme et pouvait aisément passer pour une agression préméditée.

Ce soir-là, j'étais dans le train, précisément, assis en face d'une fille d'une quarantaine d'années (on ne disait plus "femme" depuis des lustres on ne disait plus  "lustres" depuis des lustres, non plus). Elle était belle, et très sobrement augmentée d'un simple smartphone et d'oreillettes. Elle pianotait sur son prolongement ou son "organe", comme on disait maintenant, depuis que les prolongements n'étaient juridiquement plus des choses pendant que je la regardais, dénudé. Dénudé j'étais, car j'avais décidé (... l'avais-je d'ailleurs vraiment "décidé" ?), après m'être péniblement sorti d'une dépression longue, de vivre comme un homme diminué : exit les prolongements connectés, juste ma crudité organique de naissance revêtue de vêtements de saison ; cette nudité qui, soit dit en passant, me valait un certain nombre de contrôles policiers.

Je mesurais bien l'inconfort extrême que je provoquais ainsi, mais point ne parvenais à me débarrasser de ce comportement et de cette apparence provocants, ce qui était, disons-le, le signe manifeste de la persistance de mes troubles psychiques.

La fille augmentée dut se sentir observée, car elle leva le nez et s'obligea à me regarder furtivement, l'air inquiète (car il était devenu inadéquat de regarder les gens). Je ne sais toujours pas ce qui me prit alors, mais je saisis l'instant pour lui adresser un vif : "Bonjour !". Sans surprise alors, elle se mit à trembler, puis se referma très vite et tapota nerveusement, à nouveau. 
L'alerte, donnée.

La police ferroviaire ne tarda pas : "Monsieur, suivez-nous !".
Pour la première fois, je passerais une nuit au poste, bien conscient que j'avais amplement franchi la ligne.

Le numéro suivant de CHRONIQUE INUTILE DU VENDREDI (La) vous causera de gains ; de félicité.

vendredi 12 février 2016

N°7 - Miracle


Cette chronique est inutile, car elle ne procure ni gain, ni bénéfice.

Pour la petite chronique, je suis allé à la messe, quelques fois ! Pour ne pas mourir enragé. Puis madame Gammet m'en a guéri, sans l'avoir prémédité. 

Un miracle. 

C'était un dimanche de printemps. La sexagénaire à la robe plissée s’approcha encore de moi après l'office. Près, trop près, encore. Elle pencha doucement la tête et exhiba à mon intention exclusive ce rictus bien particulier dont elle avait le secret : une simagrée excessivement appuyée ; durable, aussi incommodante qu’une poignée de main pâteuse ou trop solide qui n’en finit pas. Puis elle exhala son doucereux non-salut rituel : "Alors, jeune homme ?" et me demanda si j’avais pris le temps de songer un peu au sermon de la semaine précédente du Père Lacroix, qui abordait les vertus du désintéressement. 

Les foi précédentes, j’avais répondu poliment un truc du genre : "Oui, oui !... intéressant !". Mais là, j'étais invité à faire preuve d'intérêt pour le désintéressement. Sacrée injonction, non !?
Je pensai fugacement : "Désintéressement... Désintérêt... Euh... comment je pourrais m'intéresser à un truc qui m'intéresserait pas ?" Mais comme je m'étais particulièrement mal levé, je sentis davantage poindre cette pulsion m'ordonnant de faire bouffer son missel à celle qui venait de chatouiller la Bête une foi de trop ! A résister à ce dernier Commandement, je ne parvins qu'en y allant de cette petite litanie, à peine désauvagée :

– J’ai cinquante-trois ans, madame, et ça fait quelques printemps que je ne cherche plus à être le jeune homme ou le petit garçon de qui que ce soit ! Est-ce que je vous appelle « jeune femme », moi ? Non ! Bon !... Quant aux « vertus du désintéressement », ça nous fait deux mots inadéquats sur trois, sachant que "du", c'est la tête à Dudulle : on s'en fout ! Il n'y a donc rien à garder, voyez-vous !?  L’action supposée désintéressée, c'est celle de l'individu qui veut davantage satisfaire son intérêt particulier que la moyenne ! Et cet individu-là, comble du comble, a besoin de l’égoïsme de ces autres qui attendent sans faiblir que de bonnes âmes s’intéressent à eux "pour eux-mêmes", de façon... "désintéressée" ! Ce que vous appelez donc "vertu", c’est la rencontre d’un intérêt supérieur à la moyenne avec des égoïsmes ! 
Des égoïsmes, voilà !... pour lesquels l’ "égoïste" est bien évidemment celui qui ne pense pas assez à eux !

Bon ! Il était certes inutile d'en faire des caisses comme ça... Mais... la Bête se fichait bien de l'utile.

Le numéro suivant de CHRONIQUE INUTILE DU VENDREDI (La) vous causera de ma nuit au poste.

vendredi 5 février 2016

N°6 - Répliques


Cette chronique est inutile, car elle ne procure ni gain, ni bénéfice.

Cela faisait maintenant cinq longues et inutiles semaines que j'avais intégré le Centre de Profits de Jack Challenge en tant que domestique polyvalent – rémunération à conquérir. Cinq semaines sans gain, ni bénéfice.

Après avoir consulté mon chiffre de la semaine passée, Jack, furieux, s'écria ce matin-là :

– Ton échec roule lamentablement sur l'autoroute de mon succès ! Tu torpilles ma noble allure ! Tu ne m'es plus utile ! Tu es... viré !

Humil, je rétorquai :

Ta voie rapide n'est qu'un sombre tombeau pour l'effort humain vers la clarté ! Tu me rends donc honneur et à l'humanité tout entière ! Toi, tu ne nous es pas nécessaire ! Et je me ferai une mission toute spéciale de le faire savoir !

– ... Comment ça, "nous" ?" s'écria Jack.

Rasséréné, je précisai :

– Nous ! Oui, "nous" !... Mais ne cherche pas un "nous" inaccessible à cette fragile étincelle qui ne porte que ta sombre sottise et son ombre immense le long des murs suintants de ta ténébreuse existence !

Nous nous quittâmes en parfaits mauvais termes.
C'était un vendredi. Inutile. Mais nécessaire.

Le numéro suivant de CHRONIQUE INUTILE DU VENDREDI (La) vous causera d'un... miracle !